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C'est évident ?

Les Bobos !

Par Nogat le 23 juin 2017

Un bobo est un bourgeois-bohème, une classification imaginée par des sociologues, un sociostyle pour définir un groupe social qui correspondrait à une personne qui a des revenus sans qu’ils soient faramineux, plutôt diplômée, qui profite des opportunités culturelles et vote à gauche (définition du sociologue Camille Peugny en 2010). Le bobo serait économiquement à droite et idéologiquement à gauche. Cette définition a plu aux médias qui se sont empressés de définir davantage le bobo : urbain, écolo, idéaliste, arrogant, etc. Il remplacerait le yuppie américain qui serait devenu cultivé. Wikipédia lui consacre une page, les journaux l'ont bien défini : 15 signes pour savoir si vous êtes un bobo, qui sont les bobos. Il y a même des malentendus dans la définition des bobos !

Bobos de merde

Bobos de merde, Bixente Barnetche et Benoît Daragon. Le bobo a un cousin, le hipster. Il y aurait même des bobos dissidents, selon la droite libérale et conservatrice, définis comme des socio-éducatifs (enseignants, travailleurs sociaux...) altruistes, signant des pétitions, votant à l'extrême gauche ou chez les Verts, des progressistes. Et depuis peu, il y a même des bobos de droite, puisque c'est l'insulte proférée par l'agresseur de Nathalie Kosciusko-Morizet le 18 juin dernier. Bref, bobo est devenu une insulte qui ratisse large pour définir aussi bien des personnes aisées, citadines, cultivées, de gauche (ou de droite progressiste) que des personnes pas toujours très aisés, parfois fauchés, avec une forte éthique. Je me suis fait accuser d'être bobo sur Facebook uniquement parce que la personne avait repéré un commentaire qui ne lui plaisait pas et avait trouvé que j'avais été enseignante dans ma jeunesse (signe de ma boboïtude), tout cela sans connaître mon niveau de vie et ma vision du monde ! On est toujours le bobo de quelqu'un ! Macron serait le chouchou des bobos, selon des analyses sociologiques et géographiques du vote de l'élection présidentielle 2017.

Antibobo

Philippe Muray (1945-2006), écrivain pamphlétaire, a, lui aussi, cherché à définir le bobo, s'opposant avec force contre la bobocratie bien-pensante. Cette bobocratie est décrite de manière caustique comme issue de la génération de Mai 68, fan de laïcité, organisant une police de la pensée, s'insurgeant, au nom de la modernité, contre tout ce qui paraît une dérive vers le machisme, l'homophobie ou la xénophobie. Tout ce "politiquement correct" exaspérait Murray. Parfois décrit comme réactionnaire, misanthrope et sexiste, il détestait l'altruisme, l'humanisme, le féminisme, les bons sentiments, les vertueux, la modération, le Bien, les festivals, etc. !

Philippe Muray

Philippe Muray

Cet anti bobo pestait contre l'idéologie dominante, contre les Maîtres censeurs, parlait de Trahison des clercs. Il défendait le droit à l'outrance, à la caricature : L'ironie, la dérision, la moquerie, la caricature, l'outrance, la farce, la guignolade, toute la gamme du rire, sont à mes yeux des procédés de description que l'âge de l'industrie de l'éloge ne peut évidemment pas supporter. J'essaie, pour mon compte, de m'en servir comme on se sert des couleurs sur une palette.Depuis sa mort, ce polémiste virulent a été récupéré par des intellectuels "de droite", des blogs conservateurs, qui partagent tous la détestation du bobo, du bien pensant, du droit-de-l'hommiste. Il est devenu caution intellectuelle des antibobos. En réaction contre toutes ces accusations, des bobos, se reconnaissant comme bobos, et fiers de l'être, ont publié La république bobo.

Boubour

En réaction au bobo, a été inventé le boubour ou bourgeois bourrin qui aime tout ce que déteste le bobo : machisme, anti intellectualisme, goût du clinquant et de l'ordre moral. Cette arrivée du boubour serait un des signes de la droitisation de la société, du désir de repli sur soi, de la mise en valeur du retour aux valeurs d'autrefois, en contestation de l'esprit post-soixanthuitard et de l'hypocrisie bien-pensante. La manif pour tous contre la libération sexuelle ? La cuisine du terroir, bien grasse, contre les régimes anti gluten et le quinoa ?

Boubour : livre de Nicolas Chemla

Le boubour n'est pas particulièrement raciste, mais ne veut plus parler politiquement correct, ne veut plus devoir surveiller sa ligne (obligation de manger mieux, de vivre mieux pour être en meilleure santé et vivre plus longtemps) ou ses paroles (pas de plaisanteries sexistes, racistes). Pour cela, le boubour préfère vivre avec ses semblables qui partagent avec lui des valeurs communes plutôt qu'avec des étrangers dont la façon de vivre le heurte. Et la multiplication du terrorisme est l'occasion de manifester ouvertement son rejet de l'autre qui ne respecte pas l'héritage chrétien de la France et son identité nationale. Le Pen et Fillon contre Mélenchon seraient-ils l'héritage de la guerre entre boubours de droite et les bobos de la gauche écolo ? Trump et ses supporters seraient-ils les parfaits illustrateurs des boubours américains ? Puis Macron est arrivé. Cette vague a-t-elle balayé la distinction entre bobos et boubours ? Ces catégories ne sont-elles pas un peu simplistes ? Le monde ne se divise pas seulement entre bobos et boubours, sous peine d'oublier les autres socio styles.

La carte n'est pas le territoire

De la même façon que la carte de géographie n'est qu'une vision théorique et simplifiée du territoire réel, les socio styles ne sont que des outils théoriques mis au point par des sociologues pour tenter de classer des groupes d'individus en fonction de comportements, de styles de vie, d'opinions qui semblent communs à ces groupes. Le socio style est principalement un outil au service du marketing, une fiction commode pour créer de l'homogénéité, pour simplifier l'analyse car la complexité et l'imprévisibilité rendent difficiles le ciblage de clientèle. Que se passe-t-il en fait ? Nous avons été habitués à manier les concepts, les idées générales et nous passons notre temps à faire des généralisations hâtives sans nous soucier des faits réels. Une vision platonicienne du monde, née du mythe de la caverne de Platon : pour Platon, nous serions comme des prisonniers enchaînés dans une caverne, le dos à l'entrée et ne voyant du monde réel que des ombres projetées sur le mur. Il faudrait donc pouvoir s'échapper de la caverne pour voir enfin le monde réel. Cette allégorie représente la montée philosophique vers le monde des Idées, seule réalité qui vaille le coup de s'y intéresser, le monde concret n'étant qu'illusion et apparence.

Platon par Silanion

Platon par Silanion

Le monde sensible serait une prison de l'âme. Nos sens nous trompent et il est important de nous libérer de nos fausses idées, de nos croyances, de l'illusion du réel pour découvrir la seule réalité qui vaille, celle du monde des Idées. Résultat, depuis l'Antiquité, notre éducation, notre religion nous ont appris que l'esprit (ou l'âme) est plus important que le corps, l'idée plus importante que le concret, la croyance en l'unique préférable à la croyance au multiple. Il n'y a donc qu'une vérité, qu'un dieu, et la complexité doit être simplifiée. Quand des sociologues imaginent de classer, par commodité, les êtres humains dans des petites boîtes, on oublie que chaque être humain est unique dans sa spécificité et ne peut pas être réduit à ses caractéristiques sociales : âge, profession, style de vie ou croyances. Contrairement à Platon qui veut nous faire croire que seule l'idée pure est importante, il faut réapprendre que le bobo, le boubour et tous les autres socio styles n'existent pas. C'est une fiction pratique pour simplifier la compréhension du monde. Nous nous laissons piéger par ces mots. Le monde est complexe, chaotique. Les immigrés, les musulmans, les bobos, les fachos, cela n'existe pas, c'est une fiction. Les conséquences de cette fiction linguistique sont tous les jours présentes. Comme il est plus facile de détester, voire de tuer une entité théorique, au fil des siècles, on va critiquer, humilier, voire pourchasser les Juifs, les noirs, les indiens, les catholiques, les protestants, les musulmans, les Arabes, les Bosniaques, les Palestiniens, les chiites, les sunites, etc. et dans une moindre mesure, on va lutter contre les capitalistes, les patrons, les syndicalistes, les ouvriers, etc. Il suffit d'oublier les êtres humains, avec leur parcours personnel individuel et unique et les réduire à une fiction, une étiquette, qui permet de les regrouper pour les mettre tous dans la même boîte. Arrêtons de jouer avec Platon.

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