De la relativité du luxe
Par Nogat le lundi 29 décembre 2014 - Vous êtes certain ?
Un produit de luxe est un produit rare et cher : c'est un signe de distinction sociale, il ne doit pas pouvoir être accessible à tous. Sa possession est signe de richesse, de niveau social élevé, le produit de luxe est donc objet de convoitise, difficilement accessible. C'est pourquoi, pour le posséder, quand il est au dessus de nos moyens financiers, certains, parfois, n'hésitent pas à le voler. Mais généralement, on se contente d'acheter une contrefaçon d'un produit de luxe : l'achat de l'apparence du luxe.
La liste des produits de luxe varie d'une époque à l'autre, d'un pays à l'autre ou d'une bourse à l'autre. Tout est relatif, même le luxe !
Une Rolex, un grand parfum ou un vêtement de grande marque vont être signe de luxe pour des bourses modestes, la possession d'un yacht ou d'une rivière de diamant vont être signe de luxe pour les plus fortunés.
Le produit de luxe ne peut pas s'acheter n'importe où (seuls certains magasins en proposent) et doit être présenté dans un emballage adapté (un parfum de luxe, par exemple, est un parfum présenté avec un flacon et une boîte qui témoignent de ce luxe). Car l'image et la notion d'exceptionnel sont fondamentales dans le luxe. Casser ce rêve c'est casser la notion de produit de luxe. C'est pourquoi Equivalenza, le parfumeur espagnol qui a mis au point des parfums de qualité low cost a été accusé de contrefaçon par La Fédération des entreprises de Beauté, ce dont l'entreprise se défend. Au-delà du problème de la protection intellectuelle des créateurs de parfum, le problème principal de l'existence d'Equivalenza est son projet de rendre le parfum de qualité accessible à toutes les bourses. Cette jeune société casse les codes du parfum de luxe : Nous avons choisi d’ôter le packaging sophistiqué des marques classiques pour ne garder que la qualité du produit. Ainsi, nous pouvons proposer un prix très attractif, dit Loïc Gautier, Development manager chez Equivalenza en France. Cette attitude est comprise comme une mise en péril de l'industrie du parfum de luxe.
L'évolution dans le temps des produits de luxe est intéressante à étudier : c'est l'histoire d'une course sans fin au repérage des produits distinctifs, qui peuvent être étiquetés produits de luxe mais qui perdent ensuite ce statut lors de leur démocratisation.
En fait, existe-t-il un produit réputé luxueux à toutes les époques ? Au début du 20e siècle, posséder une voiture était signe de luxe. Maintenant, seules certaines voitures de certaines marques le sont (Rolls, Ferrari, Porsche…).
Au Moyen Age, les épices étaient signe de luxe en cuisine : on peut maintenant les acheter au supermarché. Alors qu'à la même époque caviar et truffe étaient une nourriture très populaire, ces deux produits, devenus rares et chers font maintenant partie des aliments de luxe. Au début du 20e siècle, offrir une orange à Noël était un luxe pour beaucoup de gens, puis manger du saumon fumé, de la truffe ou du foie gras est devenu un luxe, alors qu'un paysan de la Drôme n'avait qu'à se baisser pour ramasser une grosse truffe et qu'un éleveur de canard ou d'oie du Sud Ouest pouvait manger du foie gras très souvent. Quant au saumon, abondant dans les rivières avant l'industrialisation, il est devenu un produit de luxe avant de perdre cette étiquette quand l'élevage s'est développé, faisant baisser les prix.
Les progrès techniques font évoluer rapidement la liste des produits de luxe : un téléphone, la télévision, un frigo ou une voiture, produits de luxe lors de leur invention, ne sont plus que des produits utilitaires désormais. Pour devenir produits de luxe, il leur faut une spécificité que ne possède pas la majorité de la population. C'est pourquoi il existe maintenant une version unique d'Iphone 5 en or massif serti de diamants à 12 millions d'euros. Le luxe nécessite donc la rareté (si tout le monde en a, ce n'est plus du luxe), un produit hors de prix (si tout le monde peut se l'offrir, ce n'est plus du luxe).
Quels seront les produits de luxe demain ? Difficile de prévoir les futurs objets de luxe, en revanche, certaines tendances peuvent se laisser deviner.
L'écart entre riches et pauvres s'aggravant actuellement, la situation ne peut pas continuer car c'est un frein à la croissance économique. On peut donc imaginer une société moins gouvernée par les finances, comme elle l'a été ces trente dernières années, une société où l'argent roi a une place moins centrale qu'actuellement. Le désir de possession de biens matériels pourrait être ramené au niveau des siècles précédents et laisser la place à d'autres désirs. Le luxe ne serait plus la possession unique de biens matériels, mais un mieux vivre qui ne serait pas à la portée de tous.
En voici 2 possibilités :
- Le désir de vivre plus vieux, en bonne santé. Nous savons que notre système de protection sociale va devoir faire des choix cornéliens et ne pourra pas soigner tout le monde de la même façon (nous en voyons les prémices en Grande Bretagne, où la santé à deux vitesses existe déjà et où des personnes âgées sont déjà privées d'opérations jugées non rentables à leur âge). Le luxe serait alors la possibilité d'avoir des soins hors de prix pour le commun des mortels : traitement très coûteux, greffes d'organes ou prothèses sophistiquées. Les très riches pourront alors s'offrir le luxe de vivre plus longtemps en meilleur santé, alors que le commun des mortels aura une durée de vie comme aujourd'hui.
- Le désir de vivre dans une atmosphère saine, non polluée, plus naturelle. Dans un monde de plus en plus urbanisé, où le réchauffement climatique va modifier le climat, les paysages, l'agriculture, le sort des citadins ou de certains ruraux risque de devenir difficile. Le luxe serait alors de pouvoir vivre dans un environnement rural naturel, loin des sources de pollution, d'être protégé des effets négatifs du réchauffement climatique, de pourvoir s'approvisionner en aliments bio non industriels. On peut imaginer un monde où le luxe des plus riche ne serait plus de vivre à Paris dans un hôtel particulier ou dans une belle villa de la Côte d'Azur, mais dans un lieu protégé des excès du climat ou de la pollution, par exemple, une grande propriété au fin fond d'un Massif Central désindustrialisé ou d'un pays du Tiers Monde qui saura jouer le jeu des énergies propres et de la stabilité politique (le sous-développement devenant alors un atout s'il réussit à s'allier à l'énergie solaire et au développement des télécommunications).
Le luxe d'hier n'est pas celui d'aujourd'hui et ne sera pas celui de demain.
Commentaires
Le lundi, 29 décembre 2014 par Jacques
En comparaison d'autres époques ou d'autres lieux (qu'ici et maintenant), est-ce que la liberté de parole ou de vivre à son idée, sans être brûlé(e) comme une sorcière ou lapidé(e), n'est pas un luxe ? Un luxe qui n'a pas de prix.
Le mardi, 30 décembre 2014 par Nogat
Effectivement, pour les pauvres, les opprimés, les SDF, le luxe peut être simplement de manger à sa faim, d'avoir un toit, d'être libre de ses mouvements et de ses paroles. C'est pourquoi certains prennent des risques insensés pour atteindre ce qu'ils pensent être l'Eldorado : L'Europe qui va les traiter ensuite d'une très mauvaise manière et chercher à les expulser pour s'en protéger.
Nous aspirons au luxe matériel sans réaliser que nous sommes parfois immensément riches de relations humaines, de liberté d'esprit, de nature, du temps qui passe…
C'est peut-être ce qu'a voulu mesurer le Bhoutan, avec l'indice de Bonheur national brut ! Un luxe qui rend heureux, contrairement à l'accumulation de richesses matérielles.
Le mardi, 30 décembre 2014 par Jacques
Si le luxe est lié aux richesses, quelle que soit leur relativité, alors on dira que la liberté de vivre à son idée et d'exprimer ses convictions ne sont pas un luxe mais l'un des droits intangibles de l'être humain, avec celui de manger à sa faim, d'avoir un toit, etc...
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