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C'est évident ?

Les racines ou les origines ?

Par Nogat le mercredi, 6 juin 2012 - Vous êtes certain ?

Nos racines, c'est notre généalogie, affirme telle association de généalogie. Mes racines, c'est ma région d'origine, dit tel romancier corse. Mes racines, c'est ma tribu, affirme un autre écrivain d'origine africaine. L'attachement aux racines, c'est du néo-ruralisme nostalgique et réactionnaire, du discours pétainiste, explique l'historien. Mes racines, c'est mon identité, dit un article sur un village basque. Des racines et des ailes, c'est une émission sur France 3 qui a pour objectif de regarder le passé pour éclairer le présent et donner des pistes pour le futur, avec la volonté de mettre en lumière des personnalités qui agissent sur le terrain. Il y est question de lieux chargés d'histoire, de musées, de patrimoine.

Pour moi, l’histoire de notre pays s’est arrêtée en 1793, à la mort de Louis XVI. Cet événement a marqué la fin de notre civilisation, on a coupé la tête à nos racines et depuis on les cherche . Interview de Lorànt Deutsch, dans Le Figaro (mars 2011). Cet acteur et écrivain se définit comme "royaliste de gauche" et catholique fervent.

Un livre célèbre, devenu feuilleton TV, de l'écrivain afro-américain Alex Haley s'appelle Racines (Roots en anglais, publié en 1976) : il retrace la vie de sa famille, de son ancêtre noir Kounta Kinté, capturé en Gambie et devenu esclave en Pennsylvanie jusqu'à sa grand-mère née au Tennessee où avait fuit son père, pour échapper au Ku Klux Klan.

Bref, le mot racines renvoie au passé, à l'origine. Autour du mot racines on retrouve toute une série de mots qui nous emportent, par glissements successifs, très concrètement, vers des choix de vie ou de politique.

A côté du mot racines figure en bonne place le mot terroir, un autre mot du discours pétainiste. De racines à terroir, nous arrivons à un carrefour avec plusieurs routes possibles.

Le mot racines renvoie également au monde rural, à la terre, à un monde plus humain où l'on prenait le temps de vivre, par opposition à la ville, à la modernité qu'on ne supporte plus, à la technique qui nous envahit, au stress urbain.

Les urbains qui rêvent de leurs racines rurales mythiques tout en continuant de pianoter frénétiquement sur leur Smartphone et qui se nourrissent de surgelés seraient-ils capables de vivre à la campagne ?

Face à la mondialisation, on cherche souvent à retrouver ses racines. Nos racines, c'est souvent une culture à visage humain pour lutter contre la technologie et la technocratie qui ont créé un monde à l'argent roi qui nous déplaît. Nos racines, cela peut être aussi un univers plus sécurisant peuplé de personnes ayant la même culture, les mêmes croyances et les mêmes habitudes de vie que les nôtres. Cosmopolitisme et multiculturalisme font alors aussi peur que la mondialisation.

La recherche de nos racines devient alors une recherche de notre identité nationale pour se défendre contre l'envahissement de l'autre, de l'étranger qui ne pense pas, qui ne vit pas comme nous.

Maurice Barrès

Maurice Barrès

Le philosophe Ernst Bloch a bien étudié cet imaginaire des racines, du culte de l'Heimat (le foyer), des effets pervers de la glorification du passé mythique. L'une des sources du mythe des racines est Maurice Barrès (1862-1923), l'un des chantres du nationalisme, qui a longuement parlé de son attachement aux racines. Il a écrit en 1897 Les Déracinés, roman à succès du début du vingtième siècle. On trouve dans ce livre la critique du cosmopolitisme : On met le désordre dans notre pays par des importations de vérités exotiques, quand il n'y a pour nous de vérités utiles que tirées de notre fonds; un rejet du capitalisme financier; un attachement au particularisme régional. Barrès propose un lien étroit entre la terre (le terroir) et la race. A la même époque, le géographe Vidal de La Blache (1845-1918), explique : l'étude du sol nous éclaire sur le caractère, les mÅ“urs et les tendances des habitants. Puis viennent Maurras et Pétain…

J'entends certains protester : les racines, ce n'est pas cet héritage nauséabond. C'est plus simplement un goût pour une vie plus humaine, une réaction à une société en crise, un attachement à sa famille, à son village, sa région, son pays, sa culture.

Quelle culture ? Les racines chrétiennes de la France ? Difficile d'échapper à cet héritage nauséabond !

On oublie le piège des mots (expression bien définie par Wittgenstein). On emploie l'expression imagée des racines, on oublie que seuls les arbres et les plantes ont des racines ! Les humains n'ont pas des racines, ils ont des pieds, qui leur permettent de marcher, de voyager.

L'arbre et ses racines

L'arbre et ses racines

Amin Maalouf, écrivain franco-libanais, dit : je préfère les parcours aux racines. Les humains ont d'abord été nomades, itinérants, quand ils étaient chasseurs-cueilleurs, avant d'être sédentaires, une fois devenus agriculteurs. Les éleveurs sont longtemps restés itinérants.

L'histoire nous apprend que, même dans nos pays sédentaires, il n'y a pas que les Roms qui ont circulé à travers l'Europe/Méditerranée. Les idées n'ont pas arrêté de circuler (la philosophie européenne vient de Grèce, la religion chrétienne de Palestine), les hommes ont circulé et se sont mélangés (Clovis était un franc salien dont la famille était originaire de Germanie ou de Hollande, Charlemagne était allemand, quant aux rois de France : Saint Louis est le fils d'une espagnole, Charles IX le fils d'une italienne, Louis XIV le fils d'une autrichienne et Louis XVI le fils d'une allemande ! Nos aliments ont eux aussi beaucoup circulé : les pâtes viennent du Moyen Orient, comme les confitures ou le nougat, l'aubergine vient d'Inde, la tomate et la pomme de terre d'Amérique, etc.

Pour en savoir plus :

Les origines, un chemin à parcourir

Les origines : un point de départ pour un chemin à parcourir

Bref, contrairement aux arbres qui meurent quand on les déracine, les humains peuvent s'enraciner, se déraciner, circuler, voir du pays. On peut avoir un pied en France et un pied dans le pays de sa naissance ou de celle de ses parents, parler plusieurs langues sans savoir vraiment quelle est sa langue maternelle. Maalouf explique qu'on a des origines, c'est-à-dire un commencement, un point de départ pour un chemin à parcourir, alors que les racines sont figées.

Connaître ses origines, c'est s'intéresser à l'histoire, alors que le culte des racines aboutit souvent au repli sur soi et au rejet de l'autre.

Commentaires

Le mardi, 12 juin 2012 par Jacques

De quoi sont faites les racines ? Voilà un inventaire philosophique très réjouissant, qui secoue le cocotier des idées bien arrêtées. Bravo et bon voyage !

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