Papier ou numérique, émotif ou logique
Par Nogat le mercredi, 15 mai 2013 - Vous êtes certain ?
Depuis que je publie des ebooks, voici quelques réactions :
- Le livre papier, c'est une odeur spéciale, le bruit des feuilles qu'on tourne, le contact si particulier avec le grain du papier. Rien ne remplacera ces sensations !
- Le livre papier, c'est bien plus simple à utiliser. Voir la vidéo.
- Le livre numérique va tuer les librairies et je ne veux pas être complice !
- C'est trop compliqué pour moi. Je n'y connais rien en informatique.
Tout cela semble évident, logique, n'est-ce pas ? Et pourtant !
Les amateurs de papier qui aiment les odeurs, les sensations du papier pensent-ils au bas de gamme livre de poche quand ils en parlent ou n'ont-ils pas plutôt la nostalgie du livre relié, in octavo, dont on coupait les pages avec un coupe-papier ? Quel éditeur papier propose-t-il encore des livres à couper ? J'ai gardé un très mauvais souvenir africain des livres collés qui s'effeuillaient complètement à cause de la sécheresse du pays du Sahel où j'enseignais ! Voir la bibliothèque du Lycée partir en feuilles volantes était un déchirement qui ne prédisposait pas à survaloriser le livre papier !
Le Mesnagier de Paris, 1994, en livre de poche
Le livre papier est-il plus simple à utiliser que le livre numérique ? Pour avoir hébergé plusieurs années une encyclopédie et sa vingtaine de tomes et pour avoir été parfois obligée dans mes recherches d'ouvrir à la fois 3 tomes pour trouver une information, je n'ai aucune nostalgie de ces manipulations de travailleur de force et j'ai applaudi lorsque l'encyclopédie a enfin publié un seul CD-Rom, ancêtre du livre numérique. En 3 clics, j'avais la même info ! Le livre numérique tue-t-il les librairies ? Certaines sont mortes à l'arrivée de la FNAC dans le chef lieu de mon département. D'autres ont été achevées à l'arrivée de Cultura (qui a aussi fait du mal à la FNAC). Les gros ont mangé les petits, bien avant l'arrivée de l'ebook. Et comme certaines librairies dynamiques se sont associées pour créer des plateformes de vente de livres numériques, que sera l'avenir ? Y aura-t-il un monopole Amazon ou une place pour de vrais libraires numériques ? Le gigantisme ne favorise pas toujours la souplesse et la créativité : les dinosaures n'ont pas survécu à certains cataclysmes qui ont épargné les mammifères !
Quant à ceux qui sont bloqués par les nouvelles technologies, ils ont souvent un ordinateur, un Smartphone, une carte bleue, etc. Certes, la multiplication des formats (Kindle, epub, ibook) ne favorise pas l'initiation et décourage les moins téméraires, mais cela ne devrait pas durer trop longtemps : PC et Apple étaient incompatibles, puis la communication est devenu possible, il va en être de même pour les différents formats de lecture. Et il est quand même plus simple d'apprendre à télécharger un logiciel de lecture sur son ordinateur et de télécharger ensuite un ebook que d'apprendre à conduire, quand on ne peut s'offrir une tablette ou une liseuse, plus faciles d'emploi !
La Méditerranée à table, sur un écran de tablette
Bref, où sont les vraies raisons logiques ou techniques pour s'opposer à l'arrivée du numérique et s'accrocher au papier ? Les scribes de Mésopotamie ont probablement protesté quand l'écriture cunéiforme a été abandonnée au profit d'un alphabet linéaire. Les copistes médiévaux ont peut-être protesté à l'arrivée du livre papier. Mais ils perdaient leur emploi, leur statut social. Les lecteurs de tablettes d'argile ou de manuscrits se sont probablement réjoui d'un progrès qui facilitait la lecture (alphabet) ou démocratisait le livre (imprimerie). Pourquoi certains lecteurs actuels, en France, sont-ils si réticents à l'arrivée de la technique qui va faciliter leur vie de lecture : économie de prix et de place, arrivée des images et des sons dans la lecture, navigation facilitée…
Le cinéma a-t-il tué le théâtre ? Les diligences ont été remplacés par la voiture, plus confortable et plus rapide, mais les chevaux n'ont pas disparu, ils sont utilisés différemment.
Aux USA, actuellement, le livre numérique fait une percée spectaculaire. Pourquoi tant de conservatisme en France ? Peut-être parce que la culture française est profondément marquée par l'idée de révolution : du passé faisons table rase ! On a rejeté la cuisine médiévale, certains rejettent maintenant la cuisine classique. Pourquoi ne pas aimer en même temps toutes ces cuisines, ainsi que des cuisines d'ailleurs ? La cohabitation politique, le travailler ensemble sont encore des utopies politiques ou syndicales. Papier et numérique peuvent-ils cohabiter, chacun offrant au lecteur le meilleur de lui-même ? C'est possible si la logique l'emporte sur les réactions émotives.
Certes, beaucoup trop d'ebooks ne sont encore que des clones de livres papier. Mais des écrivains commencent à écrire de vrais livres numériques, qui jouent sur les liens, la chronologie et autres facilités techniques impossibles avec le livre papier. Pour découvrir cette nouvelle génération d'écrivains :
Comme disait Michel Butor (Télérama, mars 2013) : C'est un nouveau support avec des possibilités extraordinaires ! On n'en est qu'aux premiers balbutiements... Si j'étais jeune, je me passionnerais pour ça. Je voudrais que les livres numériques deviennent une forme de livres d'artistes complètement nouvelle.
Quant au livre jeunesse, il est en train de vivre une vraie révolution créative avec les livres numériques/applications. La lecture devient un jeu. Les applications jeunesse peuvent être drôles, ludiques, pédagogiques et pleines de créativité artistique. Pour ceux qui en doutent, allez voir le guide des meilleures applications pour les enfants : la souris grise.
Pour conclure, un peu de pub pour mon livre La Méditerranée à table. Au départ, je voulais trouver un éditeur papier. Face au casse tête des démarches infructueuses (intéressant mais pas le bon format, pas le bon moment, trop universitaire, pas assez…), je me suis lancée dans l'aventure, en enrichissant modestement le livre avec des liens (liens vers des vidéos, des livres anciens en ligne). Le livre suivant sera résolument conçu pour le numérique, en cassant la chronologie des chapitres, en enrichissant le texte avec des images et des sons (si j'arrive à maîtriser la technique d'ici là). Le lecteur suivra-t-il ? J'en ai l'intime conviction.
Après la révolution de l'imprimerie, la révolution du numérique est là. D'une tablette à l'autre…
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