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C'est évident ?

La planète perd ses langues

Par Nogat le samedi, 23 juin 2012 - Vous êtes certain ?

C'est le titre d'un billet du Monde du 7 juin 2012. Il y est indiqué que 8,4% des langues de la planète sont en cours de disparition, 17% sont en danger et 3,3% ont disparu depuis 1950.

Les langues disparaissent donc comme les animaux ou les plantes ! Adieu la biodiversité linguistique !

Cela me rend très triste jusqu'au moment où mes souvenirs d'histoire et de linguistique refond surface, pour apporter un peu de rationalité dans l'émotionnel. N'avez-vous jamais entendu parler de la tour de Babel ? Ce mythe de la Bible nous raconte qu'autrefois, après le Déluge, tous les hommes parlaient la même langue. Puis ils ont voulu construire une tour pour atteindre le ciel.

Tour de Babel par Bruegel l'Ancien

Tour de Babel par Bruegel l'Ancien

Dieu dit : Voici qu'eux tous forment un seul peuple et ont un seul langage. S'ils commencent à faire cela, rien désormais ne leur sera impossible de tout ce qu'ils décideront de faire. Allons, descendons et ici même, confondons leur langage de façon qu'ils ne comprennent plus le langage les uns des autres. Genèse 11-6,7.

Dieu, pour rester le seul dieu tout puissant, fait en sorte que les humains ne parlent plus la même langue. Ils ne se comprennent plus, n'ont donc plus d'objectif commun et ne peuvent plus construire ensemble la ville et la tour de Babel (Babylone ?).

Dieu serait donc à l'origine des langues, créées pour éviter aux hommes d'être solidaires et garder ainsi tout son pouvoir ! La conséquence de Babel est la dispersion des humains sur toute la terre, alors qu'ils étaient, au départ, tous rassemblés en un même lieu.

La disparition progressive des langues serait alors une sorte de retour à la langue originelle d'Homo Sapiens ? Certains linguistes sont à la recherche d'une mythique "proto-langue mère originelle". Pour l'instant, c'est encore une énigme.

En revanche, on sait, avec certitude, qu'il y a plusieurs familles de langues dans le monde. Voir la longue liste.

Les linguistes ont émis l'hypothèse d'une langue appelée indo-européen, à l'origine de la grande majorité des langues d'Europe et d'une partie de l'Asie. Langue des populations nomades d'Europe de l'Est, qui ont ensuite migré vers l'Est et vers l'Ouest, pour donner une grande diversité linguistique : d'un côté, en particulier, le persan (et ses héritiers : kurde, langues d'Afghanistan, d'Azerbaïdjan) et le sanskrit (et à sa suite les langues de l'Inde), de l'autre les langues celtiques (breton, irlandais, écossais…), germaniques (anglais, allemand, néerlandais, scandinave..), slaves (russe, polonais, bulgare, serbo-croate…), baltes, le grec, l'albanais, l'arménien et les langues romanes (français, italien espagnol, roumain…). Turc, basque et hongrois ne font pas partie de cet héritage indo-européen.

Les langues romanes sont issues du latin. On peut dire que le latin est l'anglais de l'Antiquité et du Moyen Age : il a tué complètement ou en partie les langues celtiques des régions colonisées par les Romains, comme l'anglais est en train de s'imposer dans le monde. Il a ensuite été remplacé par les langues romanes héritière de ce latin. Le latin, qui a été pendant de nombreux siècles la langue des échanges et de la culture en Europe, est maintenant une langue morte.

Combien de langues ont disparu dans l'Antiquité ? Seuls quelques érudits savent lire l'égyptien, le hittite, le sumérien ou l'akkadien, parce qu'on a conservé des traces écrites de ces langues. Mais que sait-on du gaulois ou de la langue des Goths ou des Burgondes ?

Langue hittite en écriture cunéiforme

Langue hittite en écriture cunéiforme

Langue gauloise en écriture latine

Langue gauloise en écriture latine

De nombreuses langues très locales des Amérindiens, des Africains, des Aborigènes d'Australie, des Papous ou des Inuits disparaissent au fur et à mesure de l'occidentalisation ou de la disparition de certaines tribus. Un article du Courrier International (n° 1126) nous apprend qu'il y a 756 langues dans l'archipel d'Indonésie, dont 90% vont disparaître avant la fin du siècle. Mais ce phénomène est-il propre à notre époque ou n'a-t-il pas toujours existé ?

En Indonésie et dans bien d'autres régions du monde, les langues se sont multipliées en raison de l'isolement des populations et de leur dispersion sur un vaste territoire composé de plus de 6 000 îles habitées. Ces langues sont la plupart du temps exclusivement orales. La multiplication des échanges et la circulation des personnes favorisent donc la disparition des langues minoritaires au profit des langues de communication entre les groupes.

De même, de nombreuses variétés locales ou régionales d'animaux de basse-cour ou de mammifères d'élevage sont en train de disparaître en France au profit de quelques races productives standardisées. Mais ces variétés existaient-elles depuis longtemps ? Olivier de Serres, gentleman farmer de la fin du 16e siècle, nous décrit, en 1600, dans Le théâtre d'agriculture et mesnage des champs une très faible diversification des races locales animales. La diversification linguistique est certainement plus ancienne que la diversification des races d'animaux domestiques, mais elle nait surtout de l'isolement de groupes de populations. On reproche souvent à l'anglais d'envahir et de dénaturer le français. Mais le métissage des langues a toujours existé. Les langues swahilies d'Afrique de l'est sont nées du métissage de langues africaines, d'arabe et d'autres langues. Tout le monde connaît, depuis Disney, simba qui signifie lion. Mais en kiswahili, table se dit meza (mesa en espagnol et portugais) et sucre se dit sukari (azucar en espagnol qui vient de l'arabe sukkar). L'influence romane est évidente.

Le monde moderne a bien des défauts : les activités humaines sont polluantes et le niveau actuel de pollution est plus qu'alarmant. Les humains croient souvent que les ressources énergétiques ou vivrières sont inépuisables, et nous commençons seulement à imaginer un monde sans pétrole, la disparition de certaines espèces de poissons, de mammifères, de plantes ou d'arbres. Mais le monde moderne est-il plus responsable qu'autrefois de la disparition des langues ? Faut-il déplorer la mort de langues actuellement minoritaires ? Faut-il les sauver à tout prix ? Les langues, comme les civilisations et les êtres vivants, naissent, grandissent puis meurent. Faut-il déplorer la mort ? Vaste question.

Commentaires

Le dimanche, 24 juin 2012 par Jacques

Est-ce que l'anglais, langue vivante à notre époque, deviendra une langue morte comme le latin ? L'idée me semble amusante. Que penser de cette irrépressible envie de conserver ? Conserver quoi ? à quel stade de l'évolution ? Création, conservation, destruction, création... La vie, la mort. Si on déplore l'une, ne déplore-t-on pas l'autre ?

Le dimanche, 24 juin 2012 par Nogat

Tout à fait d'accord. Excellente réflexion qui apporte un complément judicieux à ce petit billet.

Le vendredi, 13 juillet 2012 par Le Furtif

Dans les années 1960,sur la chaine unique de TV une émission "5 colonnes à la Une", un reportage fut diffusé sur la langue sifflée des basques. Certains vieillards se lançaient des coups de sifflets et ils recevaient des réponses de l’autre coté de la vallée de la même manière.
L’Université , parait-il, avait entrepris de conserver répertorier et analyser cette "langue".
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Bien plus tard vers les années 1980 j’appris qu’un certain groupe sanguin possédait un îlot de fréquence remarquable dans la même région tout comme une pratique encore plus curieuse = la Couvade. Cette "Couvade" certaines îles de Méditerranée, mais aussi l’Amamazonie et les Guyanes voire la Sibérie centrale auraient conservé cet usage.

Cette digression a pour but de susciter une interrogation.
Faut-il charger l’histoire humaine d’un supplément affectif ?
Faut-il concourir à l’encombrer d’un sentiment de gain ou de perte ?
En quoi les invasions barbares sont-elles l’entrée dans une période de régression et pour qui ?
Si on peut intégrer la souffrance de la Shoah en faire un éléments de notre Psychée de notre constitution personnelle au plan moral et affectif, jusqu’où cela doit-il aller ? Devons nous conserver ou apprendre à oublier les joies et les peines. Cette superstructure de sentiments n’est-elle pas hors de propos ?
Devons nous continuer à souffrir pour Jeanne d’Arc et Vercingétorix étranglé lors du triomphe de César ?
Devons nous le jeudi souffrir de la perte irrémédiable du mercredi ?

En se constituant comme science, l’anthropologie n’a-t-elle pas le devoir de se débarrasser de l’affect ?
N’y a-t-il pas une usurpation d’affect par l’observateur contemporain ? Un anachronisme ?
Qui nous dit que les gens qui voient disparaitre leur langue en souffrent ? D’ailleurs la question pourrait-être = le voient-ils ? Le savent-ils ?

Nous avons perdu des tas de connaissances sur le pistage des animaux et autres savoirs nécessaires aux chasseurs. Devons-nous les regretter ?. Bien sûr il est vrai que la langue est la structure qui réunit les groupes humains, mais, il est vrai aussi qu’elle est ce qui les sépare.

Dans le métissage contemporain des sabirs éclosent qui réuniront, qui sait, le chinois, le portugais, l'anglais et l'espagnol. Rien n'est figé.

Quel est l’avenir souhaitable ?
Vaste problème.

Le vendredi, 13 juillet 2012 par Nogat

Votre réflexion est un excellent complément à la mienne : vos questions de gain et de perte et de la place de l'affect dans l'histoire me semblent essentielles. Si j'ai créé ce blog, c'est justement pour me poser ce genre de question. Merci d'y contribuer à votre manière.

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