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C'est évident ?

Domination homme/femme, un fait de culture ? - Religions

Mai 2021 sur Le Bec Magazine

De l’influence des religions

Adam et Ève par Gustave Courtois

Adam et Ève par Gustave Courtois - Musée de Besançon

La supériorité de l’homme sur la femme semble être programmée par Dieu dans les religions du Livre. Mais il ne s’agit pas seulement d’un présupposé propre aux cultures sémitiques puisqu’on retrouve cette affirmation de la supériorité masculine dans les religions et les cultures d’Asie.

Adam supérieur à Ève, mythe commun aux religions du Livre

L’Éternel Dieu forma l’homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant. Puis l’Éternel Dieu planta un jardin en Éden, du côté de l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait formé. Genèse 2, 7 et 8.

L’Éternel Dieu prit l’homme, et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et pour le garder. L’Éternel Dieu donna cet ordre à l’homme : Tu pourras manger de tous les arbres du jardin ; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras. L’Éternel Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à lui. Genèse 2, 15 à 18.

Et l’homme donna des noms à tout le bétail, aux oiseaux du ciel et à tous les animaux des champs ; mais, pour l’homme, il ne trouva point d’aide semblable à lui. Alors l’Éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’homme, qui s’endormit ; il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place. L’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’homme, et il l’amena vers l’homme. Et l’homme dit : Voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair ! On l’appellera femme, parce qu’elle a été prise de l’homme. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair. L’homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n’en avaient point honte. Genèse 2, 20 à 25.

La femme vit que l’arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence ; elle prit de son fruit, et en mangea ; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d’elle, et il en mangea. Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures. Genèse 3, 6 et 7.

L’homme répondit : La femme que tu as mise auprès de moi m’a donné de l’arbre, et j’en ai mangé. Et l’Éternel Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : Le serpent m’a séduite, et j’en ai mangé. Genèse 3, 12 et 13.

Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité : celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon. Il dit à la femme : J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi. Genèse, 3, 15 et 16. (1)

Ce long extrait de la Genèse, le premier livre de la Bible, a permis aux Juifs et aux Chrétiens de justifier, pendant plusieurs millénaires, la domination de l’homme sur la femme : elle est née après l’homme, de la côte de l’homme et elle est perverse par nature car elle est la source du mal, ayant entraîné l’homme à commettre le péché originel !

Curieusement, il s’agit d’une deuxième version du récit de la création. Le premier récit est plus égalitaire mais moins connu. Dieu crée l’homme et la femme à son image, sans préciser de hiérarchie entre eux :

Puis Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme. Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. Genèse 1, 26 à 28.

En dehors du mythe d’Adam et Ève, cette infériorité de la femme est également clairement présentée dans la Bible. Les femmes sont absentes des généalogies bibliques (Adam et Ève, les premiers humains n’ont que des fils, Caïn, Abel et Seth. Si Abel est tué, les deux autres se marient avec des femmes qui surgissent de je ne sais où et engendrent toute l’humanité !).

Conformément aux pratiques en vigueur au Proche Orient antique, la femme permet, en priorité, d’assurer la descendance. Si elle est stérile, une servante la remplacera (voir Abraham, Sarah et Hagar) et la polygamie est souvent la norme. Le 10e commandement de Dieu reçu par Moïse assimile la femme à un bien meuble : Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient.

Certes, il existe des femmes fortes dans la Bible : des prophétesses comme Deborah (livre des Juges), des femmes courageuses comme Esther (livre d’Esther), des espionnes comme Dalila qui a causé la mort de Samson (Livre des Juges), la lecture de la Bible nous plonge dans la culture patriarcale du Bassin Méditerranéen.

Dans le judaïsme, la tradition des rabbins de l’époque talmudique dit qu’Ève, qui a incité Adam à manger le fruit défendu, est responsable de la décision de Dieu de punir Adam en le rendant mortel. Ève a provoqué la mort d’Adam, de la même manière que si elle avait versé son sang. Dieu la punit donc par la nida, c’est-à-dire la menstruation, qui la rend impure.

La femme pour retrouver sa pureté, 7 jours après ses règles, doit passer par le rituel de purification du mikvé ou bain rituel. Si les hommes du judaïsme hassidique pratiquent également ce rituel de purification, il est particulièrement contraignant pour les femmes ultra-orthodoxes, soumises également à de multiples contraintes vestimentaires ou dans leur vie conjugale. Tous contacts avec un autre homme que son mari étant interdits, la femme préfère souvent rester cloîtrée chez elle.

La femme doit être mère et sa stérilité pouvait autoriser la polygamie dans les temps anciens, comme pour Abraham ou Jacob, ou la répudiation, comme cela est encore pratiqué chez les Juifs ultra-orthodoxes. Quant à l’homme, le rite de la circoncision est la preuve de l’Alliance entre Dieu et l’enfant mâle, alliance masculine dans laquelle la femme est absente de facto. Cela justifie la relégation de la femme dans l’espace privé, ce qui l’exclut des fonctions religieuses, la dispense de l’apprentissage de l’hébreu comme de la fréquentation des lieux de culte et la contraint aux règles de pureté.

Si le Nouveau Testament chrétien semble moderniser l’image de la femme à travers les personnages positifs de Marie, mère de Jésus, de Marthe, la sœur de Lazare ou de Marie de Magdala, disciple et mécène de Jésus, il est facile de constater qu’aucun apôtre n’est une femme, ce qui justifie l’interdiction de l’ordination des femmes dans l’Église. Les Épîtres de Paul vont faire basculer le christianisme dans la vision classique de l’infériorité féminine :

Je ne permets pas à la femme d’enseigner, ni de prendre de l’autorité sur l’homme ; mais elle doit demeurer dans le silence. Car Adam a été formé le premier, Ève ensuite ; et ce n’est pas Adam qui a été séduit, c’est la femme qui, séduite, s’est rendue coupable de transgression. Épître à Timothée 2:12 à 15.

Femmes, soyez soumises à vos maris, comme il convient dans le Seigneur. Épître aux Colossiens 3:18 1.

Je veux cependant que vous sachiez que Christ est le chef de tout homme, que l’homme est le chef de la femme, et que Dieu est le chef de Christ. 1e épître aux Corinthiens 11:3.

Certains Pères de l’Église sont, comme dans le Judaïsme, obsédés par les règles des femmes : Quand un homme a des rapports avec sa femme pendant cette période, il lui naît des enfants lépreux ou hydrocéphales ; souillés par ce sang impur, les corps des deux sexes deviennent soit trop gros soit trop petits. Saint Jérôme, 4e-5e siècles. Commentaires sur Ézéchiel, 18, 6.

Les Églises catholique et orthodoxe vont fortement s’appuyer sur la vision patriarcale de Paul pour justifier une hiérarchie cléricale exclusivement masculine ainsi qu’une description de la femme réduite à un rôle de génitrice et soumise à l’homme. La mise en avant du personnage de Marie vierge et mère favorise un meilleur contrôle de la sexualité féminine : obligation de la virginité féminine avant le mariage et survalorisation de la maternité.

Les femmes qui préfèrent se consacrer exclusivement à Dieu deviennent des "épouses" du Christ, certaines congrégations religieuses féminines transformant la cérémonie de prise de voile en simulacre de mariage, avec anneau au doigt de la main gauche, bien sûr sans équivalent chez les religieux !

Si la religion catholique interdit le mariage des prêtres, contrairement à l’orthodoxie et au protestantisme, la possibilité d’ordonner des femmes est toujours aussi taboue dans les Églises catholique et orthodoxe : le prêtre ou le pope sont les représentants du Christ, incarné en homme sur terre. Il ne peut donc pas être représenté par une femme !

La Réforme protestante du 16e siècle apporte une ouverture aux femmes en leur permettant d’accéder progressivement à l’éducation et au sacerdoce. Au 20e siècle, des femmes pasteures et théologiennes dénoncent la vision masculine de la religion chrétienne et la survalorisation de l’image du Dieu père qui justifie la domination patriarcale de la femme par l’homme.

Cependant, certaines communautés du protestantisme évangélique, fortement influencées par la culture biblique patriarcale et méditerranéenne, justifient toujours par une lecture littérale de la Bible la soumission de la femme à son mari, son rôle de mère au foyer et l’interdiction de l’avortement.

Le Coran reprend la seconde version de la création biblique, dans le premier verset de la sourate IV, Les femmes  (2) :

Ô hommes ! Craignez votre seigneur qui vous a créés d’un seul être et qui, ayant créé de celui-ci une épouse, fit naître de leur union un grand nombre d’hommes et de femmes. Craignez Dieu que vous invoquez dans vos requêtes mutuelles ; craignez de rompre les liens du sang. Certes Dieu vous observe.

Si le Coran présente, comme la Bible, la femme née de l’homme, elle n’est pas accusée d’avoir la première cédée à la tentation du diable. Le péché originel n’existant pas pour les musulmans, l’homme et la femme ont commis, ensemble, l’erreur de manger du fruit défendu, et cette erreur a été pardonnée par Dieu miséricordieux. Mais le Coran marque nettement l’infériorité de la femme sur l’homme :

Les femmes ont des droits équivalents à leurs devoirs, en toute honnêteté. Les hommes sont à un degré au-dessus des femmes. Sourate II, 228, La vache.

Les hommes ont autorité sur les femmes en raison des qualités par lesquelles Dieu vous a élevés les uns au-dessus des autres. […] Exhortez celles dont vous redoutez l’insubordination. Reléguez-les dans des lits à part et sévissez contre elles. Sourate IV, 34, Les femmes.

Cette dernière citation justifie également la violence faite aux femmes par les maris en cas d’insubordination.

Bible et Coran ont été écrits dans un univers culturel sémitique où la femme est considérée comme inférieure à l’homme. Toute application littérale de ces textes considérés comme saints par les croyants, conforte, chez les croyants intégristes, le refus d’évolution de ces religions et le maintien des pratiques patriarcales.

La femme impure et sous tutelle dans l’hindouisme  (3)

L’hindouisme se trouve en dehors de la zone d’influence culturo-religieuse des "religions du Livre". Cette religion polythéiste est formée d’une trinité de divinités majeures, masculines : Brahma, Vishnou et Shiva et de nombreuses créations ou d’avatars de ces divinités.

Les épouses de ces 3 divinités majeures sont des déesses vénérées : Sarasvati, la femme de Brahma est déesse des arts et du savoir, Parvati, épouse de Shiva prend plusieurs formes : Durga, la guerrière, Uma, la favorable ; Kali, la terrifiante. Lakshmi, la femme de Vishnou est déesse de la fortune et du bonheur.

La shakti est un mot sanskrit qui représente l’énergie féminine, sa puissance créatrice, le principe actif des divinités masculines, ainsi que la mère divine universelle. Les adeptes du culte de la shakti vénèrent le principe féminin du divin, qui fait écho au culte du lingam (ou phallus) de Shiva.

On pourrait imaginer qu’avec de telles croyances, la femme indienne pourrait être considérée comme égale de l’homme. Indira Gandhi a bien dirigé l’Inde pendant 15 ans et de nombreuses femmes occupent des postes politiques à haut niveau ! Mais, concrètement, le sort des femmes n’est guère enviable en Inde, quelle que soit l’époque.

Un traité de lois religieuses du 2e siècle, les Lois de Manu, régit encore aujourd’hui la conduite d’une majorité d’hindous et justifie le système des castes et ses discriminations, malgré son interdiction par la constitution indienne actuelle. Les Lois de Manu justifient la domination de l’homme sur la femme : mariage précoce, mariage forcé, interdiction de remariage des veuves (privées des droits de succession, obligées de s’habiller en blanc), suicide rituel des veuves (le sati), immolation des femmes et filles de guerriers vaincus, infanticide des filles...

Ces pratiques ont longtemps été la norme sociale ! Mariage des enfants et mariages arrangés sont encore la norme : 5 % des femmes indiennes choisissent leur mari (sondage de l’Indian Human Development Survey en 2018).

Encore aujourd’hui, la femme qui a ses règles est considérée comme impure et ne doit pas toucher la nourriture ni aller au temple. Certains temples tenus par des hindous très traditionnels interdisent encore leur accès à toutes les femmes entre 10 et 50 ans, pour éviter toute présence de femmes rendues impures par leurs règles.

Nous avons déjà vu que ce tabou du sang menstruel existe dans le judaïsme mais aussi dans de nombreuses sociétés "traditionnelles". Dans certaines de ces dernières, les femmes deviennent l’égale des hommes une fois ménopausées !

L’infanticide et sa version moderne d’avortement sélectif des filles ont d’ailleurs abouti à un déficit de femmes et des conséquences sociales importantes : augmentation des hommes célibataires favorisant les rapts et les viols. En 2001, un recensement a indiqué qu’il manquerait 36 millions de femmes sur un milliard d’habitants !

De nombreuses lois ont pourtant été votées pour améliorer le sort des femmes. Les mouvements féministes sont nombreux et actifs. Mais la société indienne est encore fortement patriarcale.

Il vaut mieux se réincarner en homme dans Bouddhisme

Le bouddhisme a, en Occident, une réputation de tolérance et d’ouverture, mais il est aussi misogyne que l’hindouisme : Bouddha a d’abord refusé la présence de femmes dans les communautés monastiques, puis, quand il les a acceptées, leurs règles ont été plus sévères que celles des moines. Il a déclaré que les femmes ne pouvaient pas prétendre atteindre l’Éveil, mais seulement ses premiers degrés. Certaines nonnes demanderaient à être réincarnées en homme !

Le canon pâli, qui regroupe des textes fondamentaux du bouddhisme attribue à Bouddha ces paroles : Il faut se méfier des femmes, leur recommande-t-il. Pour une qui est sage, il en est plus de mille qui sont folles et méchantes. La femme est plus secrète que le chemin où, dans l’eau, passe le poisson. Elle est féroce comme le brigand et rusée comme lui. Il est rare qu’elle dise la vérité : pour elle, la vérité est pareille au mensonge, le mensonge pareil à la vérité. Souvent j’ai conseillé aux disciples d’éviter les femmes.

Cette vision misogyne des femmes continue à imprégner la culture des pays bouddhistes d’Asie, bien qu’elle soit oubliée dans le bouddhisme occidental qui attire de nombreuses femmes en rejet du christianisme patriarcal.

Un des livres fondateurs du Bouddhisme du Grand Véhicule, La Précieuse Guirlande des Avis au Roi de Nagarjuna, texte sanskrit d’un moine bouddhiste indien du 2e et 3e siècle, indique :

L’attirance pour une femme vient surtout de la pensée que son corps est pur. Mais il n’y a rien de pur dans le corps d’une femme. De même qu’un vase décoré rempli d’ordures peut plaire aux idiots, de même l’ignorant, l’insensé et le mondain désirent les femmes. La cité abjecte du corps avec ses trous excrétant les éléments, est appelée par les stupides un objet de plaisir.

Cette citation fortement misogyne a été reprise par le Dalaï-Lama dans son livre Comme la lumière avec la flamme en 1997 !

Confucianisme, pieds bandés et soumission

Qui n’a pas entendu parler du triste sort de la femme chinoise aux pieds bandés, confinée dans sa maison après un mariage forcé ? Infanticide des filles, remariage interdit des veuves, soumission de la femme à l’homme : un sort voisin de la femme hindoue ?

Nous connaissons tous le principe chinois du Yin et du Yang, le Yin (symbole noir) étant un principe féminin, évoquant la lune, l’obscurité, la réceptivité, la terre et le Yang (symbole blanc) étant un principe masculin évoquant le soleil, la luminosité, l’action, le ciel. Ces deux principes étant théoriquement complémentaires à l’origine, avant l’ère chrétienne, on aurait pu imaginer que l’homme et la femme soient considérés comme complémentaires dans la société chinoise.

Symbole du Yin et du Yang

Confucius (contemporain de Bouddha et de Pythagore) n’a pratiquement pas parlé des femmes en dehors de cette citation : Les femmes et les gens médiocres sont les moins faciles à traiter : de trop près, ils se croient tout permis ; de trop loin, ils vous en gardent rancune. Le confucianisme s’est ensuite développé autour du respect de la hiérarchie sociale et de l’obéissance aux codes sociaux.

En fait, il a favorisé une société très contrôlée et hiérarchisée, où la collectivité l’emportait sur l’individu. Et la dualité complémentaire du Yin et du Yang des origines a elle-même été hiérarchisée : le Yang est devenu naturellement, dans la culture chinoise, le principe dominant associé à l’idée du fort et du pur et Yin, le principe dominé associé à l’idée du faible et de l’impur, contrairement à la présentation occidentale actuelle et idéalisée du concept. L’une des conséquences de cette hiérarchisation a été le développement de rituels et de manuels d’éducation favorisant la hiérarchie des sexes.

Mais les différences sociales semblent avoir été plus importantes que les différences de sexe : une femme de haut rang social pouvant avoir plus de pouvoir et de liberté qu’un pauvre paysan. Et, concrètement, il existe dans la Chine ancienne bien plus de femmes auteures et de grandes poétesses que dans l’Occident chrétien d’avant le 19e siècle. Le statut de la femme a beaucoup évolué selon les époques. Par exemple, sous la dynastie Song (960 – 1279), les femmes pouvaient hériter, ce qui est devenu impossible sous les Ming (1368 – 1644).

Quant aux pieds bandés des femmes, coutume cruelle de l’ethnie Han qui a débuté au début du 10e siècle et qui a été interdite en 1912 mais qui a perduré jusqu’à l’arrivée du communisme et ses brigades anti-pieds-bandés, sont-ils la preuve de la volonté de domination de l’homme sur la femme ou une pratique de soumission des femmes aux critères esthétiques de beauté et de féminité ?

Pieds bandés

Pieds bandés - Zhang Yung Ying, 2005 Extrait d'une photo de Jo Farrell

Comme souvent, la situation est complexe : ce sont les femmes qui se chargeaient de bander les pieds de leurs filles, pour que leurs pieds ne dépassent pas 10 cm, ressemblant à un bouton de fleur de lotus et qu’elles plaisent aux hommes afin de trouver un mari fortuné. Et de nombreuses femmes se sont cachées pour ne pas enlever leurs bandages, après l’interdiction de cette pratique douloureuse !

Souffrir pour être belle, est-ce un désir féminin qui transcende les cultures ? Cette torture corporelle est-elle, dans l’esprit, si différente du corset qui empêchait de respirer mais affinait la taille des femmes occidentales au 19e siècle ou, même, de la chirurgie esthétique développée de nos jours sur tous les continents ?

Et la déesse mère ?

Les grandes religions actuelles ont propagé l’idée de la supériorité de l’homme sur la femme et elles ont encore beaucoup de mal à accepter l’idée d’une égalité entre les sexes. Le ou les dieux dominants correspondent à la figure du dieu le père tout-puissant. Mais la déesse mère a-t-elle précédé le dieu père au Néolithique ? Quelle est la signification des Vénus paléolithiques ? Statues de fertilité ou de fécondité ou simples figures sexuelles comme le suggèrent des archéologues comme Jean-Paul Demoule ?

Vénus de Willendorf

Vénus de Willendorf (25 000 ans avant le présent) Muséum d’histoire naturelle de Vienne

Aux temps des chasseurs-cueilleurs néanderthaliens et homo sapiens, les hommes étaient à la chasse et les femmes à la cueillette et s’occupant des enfants dans les grottes ? Des préhistoriennes nous ont montré qu’il s’agissait de clichés imaginés sans preuves par les préhistoriens qui ont calqué le modèle patriarcal sur ces périodes reculées. Des femmes ont chassé et probablement peint certaines peintures rupestres (comme l’ont fait les femmes aborigènes d’Australie).

Ces sociétés étaient-elles adeptes du matriarcat, à l’image des sociétés matriarcales en voie de disparition comme les Bororos du Brésil ou les Mosos de Chine ? Les premières sociétés néolithiques ont-elles pratiqué le culte de la déesse mère comme l’imaginent certains ? Il a été dit que certaines sociétés auraient été matriarcales : les sociétés celte, étrusque ou minoenne (Crète), celles des Amazones d’Asie mineure ou la civilisation harappéenne (Vallée de l’Indus) ? Rêves de panthéistes ou de féministes ou réalité historique ? Interprétations anachroniques de statuettes ou de mythes ?

En fait, les sociétés matriarcales, minoritaires, sont rarement dirigées par des femmes mais simplement par les hommes de la lignée matrilinéaire et beaucoup

d’anthropologues estiment que le matriarcat est un mythe. Les Vénus préhistoriques aux caractères sexuels exacerbés sont-elles la preuve du pouvoir des femmes ou celle du pouvoir des hommes qui veulent réduire la femme à un rôle maternel ou purement sexuel ?

En tout cas, les nombreuses figurines féminines fortement sexuées présentes entre 30 000 et 20 000 avant notre ère semblent être reléguées au niveau familial au Néolithique ou régulièrement associées au taureau, symbole de la puissance masculine, tandis que les figurines masculines armées ou sexuées se développent seules, à l’âge du cuivre.

S’il est simple de prouver l’existence de femmes chasseuses dans les temps reculés en observant leurs os, il est plus compliqué de déterminer les croyances de ces anciens peuples en l’absence de preuves archéologiques formelles.

Conclusion

Les religions majoritaires dans le monde ont longtemps affirmé la domination de la femme par l’homme. Leur évolution vers plus d’égalité est très lente. Est-ce parce qu’elles sont dirigées par des hommes qui ne veulent pas perdre leurs privilèges ?

Et si la culture de la domination de l’homme sur la femme ne s’expliquait pas seulement par l’influence des religions ? C’est ce que nous aborderons lors du prochain numéro du Bec Magazine dans la deuxième partie de notre étude sur la domination de la femme par l’homme : un fait de culture ?

Notes

Pour en savoir plus sur quelques points de l’article

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